Portrait, Emploi

Ivo, entrepreneur malvoyant

Publié le 06 novembre 2025

Certains le connaissent comme réparateur de vélos, d’autres comme musicien, militant ou partenaire de tandem. Avec une énergie entrepreneuriale inépuisable, Ivo Raepsaet (46 ans), l’un de nos bénéficiaires, porte un regard critique sur la réalité de la malvoyance.

Au printemps 2024, le groupe d’action Recht op Ondersteuning (NDLR Droit à l’accompagnement) s’était rassemblé devant le Gouvernement flamand, place des Martyrs à Bruxelles. Déguisés en Joseph, Marie et les trois rois mages, des personnes en situation de handicap célèbraient ainsi Noël. « Des chants de Noël au printemps ? Aussi absurde que de rester des années sur une liste d’attente », déclarait leur porte-parole.

Parmi les rois mages se trouvait Ivo, récemment inscrit sur la liste d’attente pour obtenir un budget d’assistance personnelle. Après cette sortie militante, Ivo nous confiait ce que signifiait entreprendre en tant que personne malvoyante atteinte de fibromyalgie.

Partager le plaisir du vélo

Il y a trois ans, Ivo a transformé son garage en atelier de réparation de vélos et a lancé son entreprise “Velosivo”. Alors qu’il faisait de sa passion son métier, sa vue a progressivement diminué. « Avant, je notais tout, mais aujourd’hui je ne peux plus lire mes propres notes.

Il y a environ six mois, j’ai dû me rendre à l’évidence que mon résidu visuel ne me permettait plus de lire. Ce fut un tournant : j’ai dû passer au numérique. » En dépit de la perte de vision, son entreprise continuait de croître.

Comment est né ton projet de tandem ?

« En raison de mon handicap, je ne peux pas faire de vélo seul, alors j’ai cherché des pilotes. Je voulais partager ma passion avec d’autres personnes dans des situations similaires, et j’ai lancé le projet Fietsplezier delen (NDLR : Partager le plaisir du vélo). Des volontaires s’inscrivent via mon site web, permettant aux personnes aveugles et malvoyantes de trouver des pilotes de tandem. »

Y a-t-il des différences avec les réparateurs de vélos voyants ?

« Bien sûr. Je prends beaucoup plus de temps. Après trois ans, j’en suis à ma 319e réparation. Comparé au rythme du secteur commercial, ce n’est rien. J’ai commencé par passion, mais les perspectives de croissance financière sont limitées. Dès le début, j’ai senti que le système n’était pas prêt à accueillir des entrepreneurs en situation de handicap. »

Ivo répare un vélo dans son atelier

Ambitions politiques

Lors de notre rencontre, Ivo exprimait aussi son esprit d’initiative sur le plan politique. Il a tenté de créer son propre parti fédéral. « J’avais l’impression que la politique ne laissait pas de place à des personnes comme moi, alors j’ai voulu porter mes thèmes au niveau fédéral. » Faute de candidats, le parti n’a jamais vu le jour. Aujourd’hui, on retrouve son visage dans plusieurs actions militantes.

Pourquoi avoir rejoint le groupe Recht op Ondersteuning ?

« Le travail est un thème essentiel pour moi. Je suis en contact avec l’organisation de défense des droits humains GRIP, qui soutient l’emploi des personnes en situation de handicap. On nous marginalise et on nous considère comme invalides, alors que nous voulons travailler. Les employeurs nous voient comme dépendants plutôt que comme porteurs d’initiatives. Chaque pas vers l’emploi devrait être pleinement reconnu. »

As-tu le sentiment que cette reconnaissance manque ?

« Oui. Quand une personne handicapée veut travailler, elle doit d’abord démontrer qu’elle peut travailler. On est souvent mis de côté, malgré notre motivation. Nous pourrions être une source d’inspiration pour la société, mais on ne nous en donne pas l’occasion. Je sens que je suis capable de plus que ce qu’on m’impose, et je ne suis pas le seul. »

Ivo et son pilote lors d’une de leurs balades en tandem sur un chemin de halage

Est-ce pour cela que tu as lancé ton entreprise ?

« J’ai eu l’impression de ne pas avoir d’autre choix que de devenir indépendant, car c’est le seul moyen de définir mes propres conditions. Je me sens comme un indépendant par nécessité. Pas parce qu’on m’y pousse, mais parce que c’est la seule voie pour atteindre mes objectifs. »

Comment devrait-on mieux soutenir les personnes handicapées ?

« Il devrait y avoir une aide financière et pratique accessible à tous, pour que chacun puisse être soutenu comme petit entrepreneur. Même si l’entrepreneuriat n’est pas ton ambition principale, cette option devrait rester ouverte. » Quand Ivo ne répare pas de vélos dans son garage, il se consacre à des projets musicaux. Violoncelle, clarinette, handpan… aucun instrument ne lui fait peur. Même si la fibromyalgie lui a souvent mis des bâtons dans les roues. « J’ai dû trouver l’accordéon le plus léger pour pouvoir jouer un peu. »

Tu as repris la musique dans le cadre d’une thérapie créative

« Je joue plus que jamais. Je traverse une sorte de crise de la quarantaine, où je remets beaucoup de choses en question. Il faut s’autoriser à découvrir et à se faire plaisir. Si tu n’essaies pas, tu ne sauras jamais si quelque chose est fait pour toi. C’est ça, l’esprit d’entreprise. »

Article rédigé par Kaat Heylen, étudiante en journalisme à la VUB.

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