Loisirs

Les sens compensatoires : l’ouïe

Publié le 10 septembre 2025

De nombreuses études scientifiques ont confirmé que l’ouïe, l’odorat, le goût ou le toucher sont plus développés chez les personnes aveugles ou malvoyantes. Après avoir exploré la compensation sensorielle par le toucher, (Canne Blanche n°4 - 2023), penchons-nous sur l’ouïe, avec Karl Meesters, organisateur de concerts et présentateur TV.

Le cerveau traite les informations sensorielles et les relie aux connaissances existantes pour leur donner du sens. La vue est un sens dominant : cette dominance visuelle se développe au fil du temps et influence notre perception du monde. Les personnes en situation de handicap visuel doivent remplacer les informations visuelles par d’autres perceptions sensorielles pour comprendre leur environnement et s’en faire une représentation.

Depuis des années, des chercheurs s’efforcent de comprendre pourquoi les personnes malvoyantes ou aveugles développent souvent une ouïe plus fine. Plusieurs constats se dégagent : La neuroplasticité – la capacité du cerveau à s’adapter et à se réorganiser face à de nouvelles expériences – permet aux personnes aveugles ou malvoyantes de réaffecter les zones cérébrales normalement dédiées à la vision, afin d’améliorer le traitement des informations auditives. Conséquence, le cerveau devient plus performant dans l’analyse des sons.

Les personnes aveugles ou malvoyantes localisent souvent mieux les sons, ce qui leur permet de mieux comprendre leur environnement et de s’y déplacer plus aisément. Leur acuité auditive est accrue. Des recherches ont aussi démontré une plus grande sensibilité aux variations de fréquence et d’intensité : elles perçoivent des sons subtils que d’autres n’entendent pas. À force d’attention portée à leur environnement sonore, leur cerveau consacre davantage de ressources au traitement de ces signaux, ce qui améliore leur concentration et leur mémoire auditive – un atout précieux pour l’orientation ou l’interprétation de leur environnement.

Le portrait de Karl en voyage pour l'émission Niks te Zien
Karl a 16 ans lorsqu’il apprend être atteint d’une dystrophie des cônes et des bâtonnets, une maladie héréditaire qui va le rendre, progressivement, aveugle. Amoureux de la musique, Karl était souvent déçu par la qualité du son lors de concerts, de festivals ou de fêtes et a décidé d’utiliser cette frustration pour en faire une force. En 2017, il lance « rien à voir » (en français) : des concerts à la très haute qualité sonore et acoustique, à vivre dans le noir.
L’an dernier, les téléspectateurs de la VRT 1 ont découvert ses échappées sensorielles avec l’émission « Niks te zien », dans laquelle il voyage en compagnie de musiciens ou de chanteurs belges. Enregistrée cet été, la deuxième saison débarquera cet automne. Elle est très attendue car l’émission sort des sentiers battus, en alliant interviews et confidences dans des cadres magnifiques, faisant découvrir les musiques locales, tout en sensibilisant au handicap visuel. Grâce à cette émission, mais aussi à sa participation à « Dancing with the stars », sur VTM, Karl a mis la malvoyance au premier plan. Porter la voix des personnes aveugles ou malvoyantes est devenu pour lui une évidence. C’est pourquoi, quand il en a le temps, Karl participe aussi aux 20 km de Bruxelles, dans l’équipe de la Ligue Braille. 

Pourquoi t’es-tu lancé dans l’exploration du son ?

Il y a quelques années, j’ai commencé à organiser des concerts sous le concept « Rien à voir ». C’est devenu un moyen d’aider d’autres personnes malvoyantes. Ces rendez-vous sont des événements musicaux centrés sur une qualité sonore optimale. Pendant les concerts, tout est plongé dans l’obscurité. À ce moment-là, tu n’as plus de limites, tu te concentres uniquement sur l’essentiel : la musique. Les bénéfices sont reversés à la recherche médicale sur les dystrophies rétiniennes héréditaires. Le but est d’aider les personnes aveugles à devenir plus autonomes, pour qu’elles puissent, comme moi, tracer leur propre route. 

Comment s’est passée l’aventure télé « Niks te zien » avec tous ces artistes ?

C’était une expérience unique. J’étais entouré d’une équipe de pros, ma mission était simplement de rester moi-même, en m’appuyant sur mes expériences professionnelles précédentes. Je n’ai, à aucun moment, eu l’impression de faire quelque chose de difficile ou d’impossible. « Niks te zien», c’est une émission de voyage. Sauf que, d’habitude, on explore avec les yeux. Nous, on le fait avec les oreilles. On part en quête d’expériences auditives et musicales à l’étranger, ce que je ne pourrais pas faire seul. Et qui mieux que des musiciens pour embarquer dans cette aventure ? En chemin, on parle aussi de la vie. Fin 2024, l’émission a été primée au festival international Rose d’Or et a reçu le prix du meilleur divertissement de type documentaire, une très prestigieuse récompense internationale. C’était fantastique, mais ce qui m’a le plus touché, c’est le message d’une personne aveugle qui m’a dit que, depuis l’émission, elle recevait plus d’aide, plus de bienveillance. C’est pour ça qu’on fait tout ça.

Quel impact ta déficience visuelle a-t-elle eu sur ton parcours ?

Ma vision décline très lentement. Les cellules de ma rétine meurent, d’abord les cônes, ensuite les bâtonnets. J’ai donc perdu presque toute ma vision centrale. C’est très chaotique : je ne vois plus rien au centre. Il me reste un peu de vision périphérique en bas. Mes bâtonnets tiennent encore bon, mais ils finiront aussi par disparaître. C’est un processus lent. Une lente torture. On ne peut plus conduire. On ne reconnaît plus les visages. On ne peut plus lire, etc. Toutes ces choses qui semblent normales disparaissent peu à peu. Ce que je vois aujourd’hui ne sera plus ce que je verrai dans cinq ou vingt ans. Ça m’inquiète, mais je crois que ma force a été de réussir à bien m’adapter jusqu’ici. Et je veux surtout continuer à prendre du plaisir dans ce que je fais – surtout professionnellement. C’est un vrai défi. Ce n’est pas un conte de fées. Il y a des échecs, des choix difficiles, des recommencements. Mais je me concentre toujours sur ce que je peux faire, sur ce qui me rend heureux. Ça m’aide à faire les bons choix. 

Cette année, tu as également participé à « Dancing with the Stars » (NDLR : des duos composés d’un danseur professionnel et une célébrité s’affrontent dans un concours de danse diffusé sur VTM). Une première pour une personne malvoyante. Comment as-tu vécu ça ?

En pratique, ce n’était pas évident du tout, mais je n’ai pas hésité une seconde à accepter de participer. J’aime tellement la musique et la danse que j’étais prêt à y consacrer beaucoup de temps. Je dois en faire plus que les autres, car je dois absolument tout mémoriser. Il m’arrivait de répéter mes mouvements de hanches dans la rue, juste pour retrouver le bon rythme. Mon rêve serait de danser un jour avec ma partenaire, mais nous aurions tous les deux les yeux bandés. J’ai encore des tas de très beaux projets à venir. Par exemple, relancer dès cet été, les concerts pour « rien à voir ». C’est un horizon de 24, maximum 36 mois. Et après, je ne sais pas, je ne veux pas savoir. Dès que je ressens le besoin de prévoir, je m’efforce de lâcher prise. Je verrai bien ce qui viendra après. 

Karl court les 20km de Bruxelles avec son guide.
Karl est aussi sportif ! L’an dernier, lui et ses amis ont bouclé les 20 km de Bruxelles dans l’équipe de la Ligue Braille

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